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DAKHLA 1 : Les huîtres

Les huîtres de Gérard

Agadir a des secrets. Une perle était bien gardée sur la colline de Charaf. Derrière un portail blanc, fermée comme un cocon. Mais chaque vendredi à la fin de la grande prière la rue s’animait d’un ballet silencieux. Jour des huîtres. Celles commandées par les initiés à Charo et Gérard.
Un vrai cérémonial, presqu’un pèlerinage hebdomadaire pour aller chercher celles qui nous régalent le palais depuis 12 ans. Charo artiste a l’accent que j’aime tant de son Espagne et Gérard, presque timide au premier abord et amoureux de la nature.

Cheveux blancs mais la peau tannée par le soleil et le vent de Dakhla. Doucement au cours des visites, il sait vous faire comprendre combien il aime son métier. Ses vacances ? La cahute au bord de la rive Est de la lagune de Dakhla. 

Un coin de nature à nul autre pareil qu’il faudrait préserver mais la saleté des hommes y est déjà prégnante. L’écologie commence par la propreté…, la définition de « déchet » n’a pas le même sens pour chacun de nous. Seule l’éducation pourra sauver le monde.
Le projet de Gérard a pris corps aux forceps. Accoucher d’une innovation au Maroc est toujours un peu douloureux. Mais l’homme est dur au mal et quand vous aimez tout ce que vous faites, la réussite n’est jamais loin. Entre espoir et frustration de voir toujours quelques écueils en travers du chemin Seacom Aquaculture a vu le jour. 



Il en est là aujourd’hui en nous recevant chez lui, au milieu de nulle part et lui et son équipe ont mis les petits plats dans les grands. 
Pour arriver au parc ostréicole 60 km dans le vent et le sable. Passer le fond de la Lagune, les spots de kite surf qui se sont multipliés comme les parcs à huîtres. 


Passer aussi les postes de 
Gendarmerie Royale qui veillent à la vitesse et à la bonne circulation. Respectez tout, on vous voit de loin et l’électronique a elle aussi envahi le désert…


Le domaine de Gérard pourrait donner envie à tous les ostréiculteurs de France et de Navarre. Pensez donc, la zone est si fertile qu’un naissain de 6mm prend la forme d’une huître N°3 en 9 ou 10 mois. Les connaisseurs, vous avez bien lu. Il n’y a pas de surpopulation sur les bancs…

Quand nous les voyons si belles sur nos tables beaucoup de travail avant cela pour l’huître et les hommes qui la préparent. Les naissains viennent de Vendée. Je ne pensais pas que les Chouans voyageaient si loin mais ils sont vivaces et résistants. Peu de mortalité pour venir se gaver au gré des courants de la lagune.
Je n’imaginais pas une seule seconde que l’huître pouvait manger autant et faire la graisse que l’on savoure. Dans les premiers mois de sa vie, toujours dans l’eau elle reste ouverte et elle se gave du soir au matin de tous les microorganismes qui passent à sa portée. 

La lagune n’a pas l’air comme cela mais la marée y est sensible, 3 à 5m selon les zones. Pas d’eau claire d’une rivière pour animer le fond et porter les nutriments. La Nature est bien faite ; aussi c’est le vent qui anime les fonds. Eole souffle presque tout le temps dans ce couloir de désert du Sahara, il tourne parfois dans la journée et évapore les eaux de surface. Les eaux froides prennent alors la place. Les minéraux des alluvions sont entraînés, mélangés à la chlorophylle, ils vont apporter les réserves naturelles qui engraissent le mollusque à grande vitesse.
Avant d’arriver sur la table de préparation à la vente, la belle native de la famille Crassostrea gigas doit faire du sport. Cela ne vous rappelle rien ? Plus elle grossit plus elle se rapproche du bord de la lagune. Les hommes de Gérard les manipulent chaque jour pour éviter qu’elles ne se collent. 


Cela leur donne aussi un peu d’espace de vie. Petit à petit elles arrivent dans la zone où la marée les découvre chaque jour. Elles apprennent alors à se fermer, retenir leur eau et se musclent pour bien se fermer et résister au voyage. Un peu de stress les éduque elles aussi. On ne devient pas mature et apprécié dans la facilité.
Une fois triée sur la table au milieu du parc, il faut encore les nettoyer, les laver et les mettre par tailles en clayette. 18 heures de camion les attendent pour atteindre Agadir.
Dame en coquille n’est pas la meilleure quand elle sort de l’eau. Il faut 3 à 4 jours au sec pour être parfaite à la consommation. Bien éduquée, elle peut rester jusqu’à 10 jours au frais et être encore bonne à consommer.
Gérard a pris toutes les précautions pour que ses hommes travaillent dans de bonnes conditions. L’administration sanitaire veille chaque semaine pour contrôler les eaux de la lagune et les produits qui sortent de l’eau. Mais il manque un laboratoire supplémentaire au Maroc pour permettre l’export et offrir aux ostréiculteurs de toute taille les opportunités du commerce extérieur. 
Pour les conditions de travail des hommes, c’est l’administration du bassin qui ne donne pas les autorisations pour faire les salles de préparation plus confortables et mieux équipées. Les bâtiments en dur, c’est le futur, patience et temps comme toujours pour vivre bien sous le soleil et le vent de Dakhla. Le Maroc a aussi un Sud comme tous les pays du monde !

Les perspectives du parc sont immenses. Gérard pourrait multiplier sa production par 10, mais le marché marocain stagne. Le nombre d’ostréiculteurs augmente…la gestion du futur sera délicate.
Venir ici au fin fond du Maroc, c’est s’en mettre plein les mirettes entre les dunes blanches et les plaques des « tables » qui dominent la lagune de cette rive Est. Les plateaux élevés de quelques mètres au-dessus de l’eau s’érodent avec le vent. Les plaques de coquillages fossiles se disloquent laissant apparaître les couleurs des minéraux différents, le sel, le fer, le soufre, le cuivre…de quoi nourrir les naissains futurs.
Entre marée haute et basse, le paysage change du tout au tout. Les bancs de sable se découvrent et la lagune change de couleurs. Les nuances de bleus se changent en nuances de jaune des sables et de vert des algues.

Gérard a embarqué la petite troupe de joyeux visiteurs sur le pick-up. Ceux qui sont dans le plateau hurlent lors des sauts du terrain. Nous roulons dans un paysage lunaire à la recherche de la plage de ponte des tortues. Au détour d’une table qui s’effrite un bout de Camargue apparait. Il y manque les taureaux et les chevaux blancs mais tous les oiseaux sont là. Les placides goélands attendent un peu de bruit pour s’envoler et faire un ballet dans le ciel sans nuage. Les aigrettes s’éloignent d’un air dédaigneux, on les dérange. Les mouettes noires et blanches préfèrent courir tandis qu’un héron fait des sauts de puces pour s’éloigner un peu à chacun de nos pas ou de nos éclats de voix.




Photo Laurence Rossignol
Tout ce joyeux monde avance sous le soleil de plus en plus chaud. Nous avons de la chance, le vent faiblit, il fait un temps à bronzer un peu en marchant. Mais en fait tout le monde pense à ce qui nous attend à déjeuner. Les huîtres n’ont pas quitté nos pensées.
Photo Laurence Rossignol
Abderrahmane a tout préparé. Trois plateaux d’huîtres et le barbecue est entrain de cuire les courbines pêchées hier par Jean Claude et Gérard. Emballées dans leur papier aluminium elles mijotent doucement dans leur jus d’épices. 



Photo Laurence Rossignol

Photo Laurence Rossignol

Photo Laurence Rossignol 




Abderrahmane, c’est le chef de chantier, l’homme de confiance de Gérard. Loup solitaire surement, il n’aime ni la ville ni la foule. Sur le chantier il dirige tout et fait manger les hommes. Le travail est dur, aussi il faut s’occuper de les alimenter. La gestion de la force de travail est quelque chose que nous avons oublié. Nourrir ses ouvriers, les payer correctement est devenu une exception dans le monde moderne, une erreur de stratégie dans la globalisation. 





Sa deuxième tâche importante est de former. Les jeunes hommes qui travaillent avec Gérard sont loin de tout. Ils viennent des montagnes de l’Atlas ou encore d’Agadir et pour tous les marocains se déraciner, quitter la famille, le village c’est dur. Aussi le turnover n’est pas neutre et il faut former à chaque fois. L’équipe est restreinte, chacun doit être efficace.
Abderrahmane le fait avec conscience et vérité. Il nous a régalé. Avec les huîtres, c’est plutôt facile mais pour le poisson frais, c’est un chef de cuisine qui nous a servi.

Passer un moment sur les eaux de la lagune est le souhait de tous. Le vent a presque cessé et le soleil chauffe. Un peu de crème, les chapeaux et nous voilà partis. La marée est descendue, le bateau est proche et presque à pied sec. Nous montons sur la large barque de pêche. Aussitôt Jean Claude met une canne à l’eau à bâbord et à tribord. Les poissons ne sont que d’un côté cet après-midi. Jean-Claude à tribord a pris 5 loups mouchetés, j’ai eu des touches mais pas de prise. Juste pour me donner envie de revenir sans doute…


Promenade joyeuse au milieu des bancs de sable où courent les oiseaux. Les cormorans effilés ouvrent prestement leurs ailes pour les sécher. Aigrettes et petites mouettes se démènent et semblent jouer. Les placides flamands roses regardent cela de très haut d’un air dédaigneux. L’eau est claire et les trous dans le sable en allant vers la Dune Blanche montre que les couteaux sont nombreux. Pour le pêcheur, appât pour le leurre ou bien à garder pour les griller, il faudra choisir.







Retour tranquille vers les cahutes qui mériteraient enfin une autorisation administrative pour donner au lieu le lustre qu’il mérite. C’est parfois incompréhensible dans ce pays de voir que les atouts ne sont pas exploités. En fait pour dire vrai cela me rend triste.

La journée se termine, retour à Dakhla pour passer une belle soirée. Merci Gérard, maintenant on sait pourquoi tes huîtres sont si bonnes. Tu y mets tout ton cœur !


Michel Prieu
Photos Françoise Devillechabrolle

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